La Mission

[TW: Stress intense, détresse] Camille a une mission. Mais elle a aussi beaucoup de charge mentale à cause d'une administration complexe.

Camille initia le saut spatial d’une main distraite. Il fallait absolument qu’elle envoie les documents au central. Sinon, de retour de sa mission, elle n’aurait plus d’appartement. C’était surréaliste la masse de papiers à remplir pour conserver un logement d’une trentaine de mètres carrés miteux dans une station. Ça l’épuisait. Puis elle repensait au mail de ses supérieurs, reçu la veille. Elle était en retard sur ses derniers rapports d’expéditions. En même temps, s’ils ne l’envoyaient pas si souvent en mission, elle aurait le temps de les remplir, ces rapports.


Quand elle était rentrée chez les pilotes d’exploration, elle était loin de se douter de la masse de travail administratif qu’elle aurait à faire. Des rapports d’expéditions, des rapports de dommages s’il fallait réparer quoi que ce soit, des papiers pour changer de vaisseau, des dossiers pour garder un logement ou encore pour voyager hors de la station. Elle avait même eu des papiers à remplir pour changer les draps de sa cabine ! Tout ça et elle n’avait même pas assez d’argent pour vivre tranquillement. Elle se retrouvait donc à encore remplir des formulaires de demande d’aides ou pour des logements sociaux. Quelle vie.


Se remettant dans ses papiers, elle ruminait sa colère. Nom, prénoms, adresse, numéro de citoyenne, les raisons qu’elle avait de demander un logement et les preuve de son salaire minable. Il lui manquait les extraits de son casier judiciaire, qu’il faudrait qu’elle demande en sortant de l’hyperespace pour les avoir à temps. Tout cela lui prit plusieurs heures et quand elle s’arrêta pour une pause, le vaisseau était déjà presque arrivé. Elle devrait manger rapidement pour se préparer à temps.



Camille finit de se préparer et sorti de la pièce qui lui servait de chambre dans ce vaisseau pas très confortable. Il fallait qu’elle aille vite s’attacher dans le siège de pilotage, le vaisseau sortait de l’hyperespace dans une minute. Un mauvais pressentiment s’empara de la pilote. “J’aurais dû re-vérifier les coordonnées, le voyage aurait dû être plus long” pensa-t-elle en fronçant les sourcils.


Sortir de l’hyperespace, ça secouait pas mal. Le vaisseau commença à trembler. Ce tas de ferrailles inquiétait de plus en plus Camille.


“Bref” Elle chassa les pensées intrusives du mieux qu’elle put pour se concentrer sur sa mission.


L’espace devant elle s’ouvrit et le vaisseau passa à travers, s’agitant comme une feuille dans une tempête. Dès les premiers instants, Camille sut que quelque chose n’allait pas. Quelques secondes après, les alarmes et les signaux d’urgences se mirent tous à hurler en même temps, confirmant malheureusement la situation tragique.


Le saut l’avait amenée trop proche d’un trou noir. En plein dans le champ gravitationnel, repartir était pour le moment inenvisageable.


“WIU WIU”


La pilote fut instinctivement prise de panique tellement les alarmes faisaient du bruit. Un bruit strident, fait pour qu’on les remarquent rapidement mais qui envahissait le cerveau.


“BIIP BIIP”


Au bout de quelques instants, elle se calma et agit. Il fallait faire vite. Elle tapota sur le clavier pour couper ces satanées alarmes.


“ACCÈS REFUSE FAITES UNE DEMANDE A L’ADMINISTRATEUR FORMULAIRE C2V43”


“Quoi ? C’est une blague ?” Dit-elle en essayant une nouvelle fois, pensant qu’il s’agissait d’un bug.


“ACCÈS REFUSE FAITES UNE DEMANDE A L’ADMINISTRATEUR FORMULAIRE C2V43”


De rage, Camille donna un coup de poing sur l’écran. Les alarmes lui sciaient les pensées. Il fallait réagir. Elle manœuvra le vaisseau et lança un nouveau calcul de coordonnées.


“WIU WIU WIU”


La propulsion ne serait pas chargée à temps, il lui fallait du courant supplémentaire. Elle alla au fond de l’appareil, enfiler la combinaison spatiale et couper lumières et oxygène pour tout donner aux moteurs. “Si seulement j’avais pris le temps de remplir ce foutu formulaire pour un nouveau vaisseau”


“BIIP BIIP BIIP BIIP”


Ses mains tremblaient et elle rata le branchement. Concentration. La mort approchait et elle n’avait pas assez dormi pour gérer ça. Le raccord réussi, Camille alla voir le tableau de navigation. “Ça ne suffira pas, l’attraction est trop forte.”


“OINP OINP OINP”


Le vaisseau vibrait comme s’il allait se désintégrer sous les forces combinées de l’attraction du trou noir et des moteurs pleine puissance. La Pilote s’assit dans un coin de la pièce, la tête dans ses bras croisés sur ses genoux repliés vers elle.


“WIU WIU WIU WIU”


Son cerveau était plein de blanc. N’arrivant plus à réfléchir, il ne restait que l’acceptation de son terrible sort. Finalement, les dossiers ne sauvaient personne en situation d’urgence.


“IMPACT CRITIQUE IMMINENT”


Tiens, ce message était nouveau. De quoi pouvait-il bien s’agir ? Si l’impact était critique, ça vaudrait peut-être le coup de regarder. Ces réflexions la sortirent de l’état de stupeur dans lequel elle était.


“IMPACT CRITIQUE IMMINENT”


Camille releva finalement la tête. La première chose qui entra dans son champ de vision fut un mail qu’elle avait apparemment reçu dès la sortie de l’hyperespace. Ces chefs lui demandaient ses rapports en retard. Prise d’une colère noire, elle se leva et frappa l’ordinateur de toutes ses forces. Il ne se passa rien, évidement.


“BIIP BIIP BIIP BIIP BIIP”


“IMPACT CRITIQUE IMMINENT”


Elle lança un scan machinalement, histoire de voir de quoi elle allait mourir et vit que le vaisseau allait s’écraser dans la mer d’une planète. Ne cherchant pas à savoir par quel coup de chance incroyable, une planète orbitant autour du trou noir se retrouvait sur le chemin de sa chute, Camille s’attacha fermement à son siège de pilotage. Ce serait sa plus grande chance de survie.


“OINP OINP OINP OINP”


Les alarmes étaient insupportables.


À l’entrée dans l’atmosphère, les frottements entre l’air et le vaisseau fit rapidement monter la température. Assez vite, l’extérieur de l’appareil entra en fusion, faisant monter du même coup la température à l’intérieur. La chaleur devint vite insupportable et Camille perdit connaissance.


“WIU WIU WIU WIU WIU WIU”



Quelques dizaines de minutes passèrent, puis elle se ressaisit, reprenant le contrôle de son corps et se détacha du siège pour tomber dans l’eau qui commençait à envahir la cabine de pilotage - le vaisseau avait dû tomber à l’envers.


Le calme apporté par l’isolation sonore de l’eau fut un soulagement. Mais encore fallait-il sortir de l’appareil et s’en éloigner le plus vite possible. Une explosion était vite arrivée et maintenant que l’espoir de la vie avait ressurgit en elle, elle ne voulait pas se faire balayer par une déflagration de feu. Puis l’oxygène disponible dans sa combinaison commençait à s’épuiser. « Faites que l’air dehors soit respirable… » Pensa-t-elle. Se démenant comme jamais dans sa vie, elle nagea vers la trappe de secours au dessus du siège de pilotage. La pression de l’eau et l’absence de point d’appui rendaient pour le moment impossible l’ouverture de la trappe. Le stress remonta d’un coup. Non pas noyée. Pas après tout ça.


La pilote, réfléchissant aussi vite qu’elle le pouvait, se dirigea vers le compartiment mécanique. Elle prit l’objet ressemblant le plus à une grande barre de métal. Ça ressemblait à un bout de rampe pour intervenir à l’extérieur du vaisseau en zéro gravité. Elle retourna vers la sortie potentielle. L’eau était déjà beaucoup montée. Le vaisseau coulait vite. D’un coup le plus sec possible en nageant, elle planta la barre pour faire levier. Une fois en place, elle prit appui sur le plafond de la pièce et poussa de toute ses forces. La plaque bougea mais pas assez. Deuxième essai … Toujours pas concluant. Il fallait faire vite, plus le vaisseau coulait, plus ce serait dur à ouvrir. Camille replaça la barre, et essaya encore, et encore et encore … La trappe ne s’ouvrait pas. Quelle journée de merde !


Dans un effort supplémentaire, elle décida de faire autrement et appuya plutôt avec ses pieds sur la barre. Elle mis quelques secondes à savoir comment ne pas glisser puis poussa de toutes ses forces. La trappe bougeait mais pas suffisamment pour que l’eau à l’extérieur passe le joint. Elle sentait que le vaisseau se tournait dans l’eau. Cependant elle ne différenciait plus le haut du bas maintenant que tout l’habitacle était immergé. Perdant espoir, et ne voyant pas quoi faire d’autre, la pilote continua d’essayer. Il semblait qu’elle y arrivait de mieux en mieux. Elle poussa avec l’énergie du désespoir. La trappe sauta littéralement de sa place. En tournant, l’avant du vaisseau avait refait surface. Restant abasourdie quelques secondes, Camille se rua vers l’extérieur et nagea encore le plus vite qu’elle pouvait.


La côte était assez loin pour être hors de portée d’une éventuelle explosion. Encore faudrait-il l’atteindre. Et puis que se passerait-il quand elle enlèverait son casque. On y est pas encore pensa-t-elle. Jetant un coup d’œil sous elle, dans l’eau, elle vit une flore marine très développée mais aucun poisson. Ils avaient dû fuir quand le vaisseau s’était crashé. Bien. Au moins elle ne serait pas le repas d’un alien marin. Camille entendit une explosion derrière elle. L’eau dans les moteurs atomiques ne faisait pas bon ménage. Au moins ils n’étaient pas assez gros pour que les radiations qu’ils émettraient soient vraiment dangereuses.


Arrivée sur la terre et sortie de l’eau, elle fit quelques pas avant de s’écrouler à genoux. Elle était épuisée. Elle se retourna pour inspecter l’état de son vaisseau. Comme dans un crash classique : les rares parties encore émergées étaient en flammes mais elles n’allaient pas le rester longtemps comme l’appareil glissait de plus en plus profondément.


Bon c’était le moment… Fermant les yeux et respirant fort pour se donner de la force, elle bloqua tout et enleva son casque. Inspirant légèrement, pour tester, l’air semblait au moins sain pour elle. Continuant d’inspirer et expirer tout doucement sans jamais vider ses poumons plus qu’à moitié, elle essayait de voir s’il était respirable. L’air semblait contenir de l’oxygène. Soupirant de soulagement, elle prit une grande inspiration. Elle allait survivre ! Tout son corps se détendis d’un coup et elle tomba sur le dos allongée dans l’espèce de sable grisâtre qui composait la plage. L’air sentait bon et lui rappelait l’odeur de la seule planète qu’elle avait visité dans sa vie.


Ce qui lui avait servi d’outil de travail sombrait doucement dans l’eau. Le vaisseau emportait avec lui tous ces dossiers et papiers autant inutiles que contraignants. Camille n’avait aucune tristesse de le voir partir. Même s’il devait constituer sa seule porte de sortie, elle était presque sûre de ne jamais parvenir à le réparer entièrement et encore moins à améliorer les moteurs. Elle sourit en pensant que cette fois-ci c’etait ses supérieurs qui allaient devoir remplir les papiers de sa disparition. Eux-mêmes. Il n’y aurait pas de secours envoyés. Ça ne vaudrait pas le coup financièrement. Elle deviendrait une statistique, s’empilant sur d’autres statistiques comme elle.


Les larmes perlèrent sur ses joues, roulant jusqu’à son sourire. Elle pouvait finalement être en vie.